Culture et lien social, Torcy, janvier, février, mars 2022
Rencontres-ateliers distants Janvier 2022
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Atelier/Images et Mots - Torcy Culture et Lien Social avec Patricia Baud et Alain Bellet Les aventures picaresques de Tancrède Vélasquez, théâtre
Textes écrits
et reçus au 1er février
Pour cette nouvelle année 2022, nous vous avons proposé
d’explorer de nouveaux mondes. Ce nouvel intitulé fera appel à nos imaginaires
et ce sera l’occasion de découvrir ou de redécouvrir des auteurs comme George
Orwell qui anticipa notre société au niveau politique et social, ainsi que d’autres
auteurs très imaginatifs qui ont créé des mondes d’anticipation à partir de
nouvelles technologies inventées ou en évolution, dues aux progrès de la
science. Des écrivains comme Philippe Dick, Isaac Asimoff, Lovecraft, Ray Bradbury,
Aldous Huxley pour les plus connus et une femme, Catherine Dufour. Honneur aux dames qui prennent le chemin tracé ou accaparé par les hommes et les éditeurs. Catherine Dufour est une femme contemporaine, née en 1966, ingénieure de formation, romancière et nouvelliste. Elle nous suggère de “ désincarcérer le futur” pour avoir une réflexion commune sur notre avenir avec des projections positives.
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Photographie Joël Hennequin Immortalité / Joël
Hennequin Le
dixième variant du Covid a été fatal, la majorité de la population mondiale a
été décimée. Seules quelques créatures
immortelles sont encore vivantes sur terre. Je n'ai pas de nom, ni de
prénom, d'ailleurs mon dernier ancêtre ne se reconnaissant pas dans celui que
l'on lui avait donné l'a fait modifier. Je n'ai pas de sexe, puisque immortel,
la fonction de reproduction n'a plus de sens. Je suis un mélange d'androgyne,
d'avatar, de zombi, d'ersatz, on m'a vacciné plusieurs fois avec de la
substance de la méduse Turritopris Mutruela. Selon les conditions où
je me trouve, en particulier quand je suis en danger, je me transforme en
l'état de polype, j’inverse le processus de vieillissement. Grâce à un
chercheur français un peu fou, on m'a fait des injections de Télomérone,
l'élixir de jeunesse, et ainsi mes cellules sont régénérées. J'ai subi un
traitement de reprogrammation cellulaire qui consiste à rajouter certaines protéines
pour les rebooster. J'ai été volontaire pour essayer un médicament de la
start-up «Unity-Biotechnologie » qui permet de retarder le vieillissement
et les maladies, avec un médicament appelé «Sénolytique». La start up
« Nectome » a sauvegardé mon cerveau d'origine sous forme numérique
pour le rendre immortel. J'ai aussi un implant
dans le cerveau, je suis une méduse augmentée. J'ai un cerveau numérisé,
virtuel, On m'a rajouté une substance chimique qui m'a permis de garder mes
neurones et mes synapses d'origine. J'ai un cerveau numérisé, virtuel, tout a
été sauvegardé, mes souvenirs, mes expériences, comme on sauvegarde des photos,
des vidéos dans le Cloud. Je suis le produit des
rêves des milliardaires de la Sylicon-Valley, une copie de Jeff Bezos, je suis le produit de plusieurs
expériences faites chez « Altos Labs », la mystérieuse biotechn de
Youri Milson, l'un des créateurs de Facebook. Hier,
j'ai croisé un de mes congénères immortels qui s'était fait congeler avant sa
mort et que l'on a réveillé au huitième variant, on l'a transformé en machine à
essai de vaccins. Inutile de vous préciser dans quel état se trouve notre
environnement avec les dégâts du réchauffement climatique et la guerre atomique
entre les Etats-Unis et la Russie au sujet de l'Ukraine et la Crimée, auquel
s'était mêlée la Chine. Cette immortalité est loin d'être le nirvana de l'âme
ou le paradis, l'état de bonheur absolu promis par le christianisme, l'islam,
le judaïsme ou le bouddhisme. D'ailleurs en quoi l'immortalité serait-elle un
but, un bonheur ? Par essence même, nous sommes tous immortels, puisque à
travers la chaîne alimentaire, la putréfaction, nous participons avec nos
cellules, nos déchets à l'éternelle transformation, l'éternel recommencement de
la vie. Et quelle ambition de l'homme qui n'est qu'une espèce sur terre parmi
huit millions d'espèces vivantes ! Toute chose à une fin, rien n'est
immuable, tout est en éternel mouvement et transformation. Les planètes, les étoiles, le vide, naissent et
disparaissent, on sait que le soleil, indispensable à la vie sur terre, va
s'éteindre dans des millions d'années. Et
être immortel soi-même ne présenta pas d'intérêt en l'absence de celle des
personnes que j'ai aimées, parents, enfants, amis, amour, amitié. Quelle
absurdité de prétendre vouloir l'éternité si on détruit la nature qui est
l’élément essentiel de la vie ? D'après Platon « L'âme de l'homme est
immortelle et impérissable ». D'après la bible
l'univers n'as pas toujours existé, il y a eu un début et il y aura une
fin et les religions promettent un monde meilleur dans l'éternité. L'immortalité conduit à s'interroger sur la mort. Comment affronter
la Mort ? la mettre à distance ou au contraire la regarder en face ? La
mort est inéluctable, alors se poser la question de l'immortalité a-t-elle un
sens ? La mort est la fin de
toute conscience, la fin des sentiments. La crainte de la mort ? Pourquoi craindre
la mort, puisque l'on ne peut plus éprouver quoi que ce soit, physiquement ou
intellectuellement ? Je n'ai pas peur de ma propre mort, mais celles des
êtres chers qui me laissent seul, leur mort est en quelque sorte la mienne. L'endeuillé va s'adresser
à son défunt comme s’il était encore vivant, entre le réel et l'imaginaire, le
lien entre les morts et les vivants. En ce sens le défunt est immortel car, « tu es toujours dans mes
pensées ». « Il faut que tu te mettes bien cela dans la tête, Papa,
elle sera toujours là, elle nous observe, il faut que nous fassions ce qu'elle
aurait voulu que nous soyons unis et respectueux l'un envers l'autre. Selon
Albert Camus, dans sa globalité l'univers est dénué de sens. Exister est un
calvaire sans fin pour accomplir des tâches essentiellement dénuées de sens. Pourtant,
nous avons tendance à trouver du sens à toute chose. Est-ce raisonnable ou tout
simplement vital pour résister ? De tout temps, toutes civilisations, on a
voulu laissé des traces, une certaine immortalité. Les pyramides, les temples,
les statues, les églises rendent immortels leurs constructeurs. Les livres, les
films, les photos, les vidéos, les poèmes, les chansons rendent leurs auteurs
immortels. Les dirigeants, les rois, les empereurs, les tyrans ont voulu laissé
des traces. La bibliothèque François Mitterrand, le musée du Quai Branly, Jacques Chirac, La cour des
Comptes ou les préfets de Napoléon. Par le rituel des
enterrements, des fêtes commémoratives, nous entretenons l'immortalité des
défunts. L'immortalité ne me semble pas intéressante d'un point de vue
scientifique si c'est pour prolonger la vie indéfiniment dans un état de
vieillesse, d'inconscience ou dans les conditions d'avatar, de zombie virtuel
dans un monde où la nature a été détruite. D'ailleurs les animaux autres que
l'homme ne savent pas qu'ils vont mourir un jour et cette idée est une utopie
du 21e siècle ou l'on croit que la toute-puissance des sciences et des
technologies va trouver une solution à toutes les maladies et à la mort. Ceci
est lié à la perte de certaines valeurs, le déclin de l'influence des
institutions religieuses, c'est un fantasme et à notre époque, nous avons tous
peur de la mort. Cela est lié aussi à la
notion de temps, on distingue le passé, le présent, le Futur. Saint Augustin
faisait remarquer que la passé et le futur existent pour l'homme comme un vécu
du présent. Si je me souviens de mon enfance, ce souvenir est actuel comme
quand j'imagine mes vacances de l'été prochain. Le paradoxe du présent est
qu’il n'y a que du présent mais en même temps il n'existe pas, il n'est que la
limite entre un passé qui le dévore et un futur qui l'absorbe constamment. Le
temps ne s'arrête jamais, il ne revient jamais en arrière, il est irréversible
et ne se répète jamais. Pour moi l'élément essentiel c'est la nature , notre
environnement, les arbres, la mer, les montagnes, les écosystèmes, les
mangroves, toutes les espèces vivantes. L'immortalité n'as pas de sens si nous
détruisons ce qui est l'essence même, vitale de notre vie. L'immortalité est
dans les neiges éternelles, le printemps et la renaissance des fleurs, des
feuilles. Un appel irrésistible de l'air pur, du vent ,de l'eau. Nous avons besoin de marcher au milieu des arbres ,d'écouter le chant des oiseaux, du vent. S'immerger dans un monde préservé de la folie des hommes. Nous sommes à un carrefour, soit nous nous prenons en main, nous prenons soin de nous reconnecter à la nature et à l'autre, soit nous continuons à vivre en individualistes et en matérialistes et nous allons droit dans le mur, rendant la notion d'immortalité comme un non-sens. Alors, écoutons la sagesse, la simplicité, le réalisme de Pierre Rabhi…
Immortelle / Cécile Hamy À la conquête des
ondes gravitationnelles, Mon être est en perpétuelle
évolution. Comme la mutation des variants
COVID, il s'adapte à son environnement et aux personnes
qui l'entourent. La télépathie, comme on le dirait
ici, me permet de savoir les empreintes émotionnelles chargées de ces
couleurs. Tout est prisme dans ma perception des choses. (II y a parfois
des zones d'ombre). Comme dans les jeux vidéo avec les barres
de niveau et d'énergie. Le toucher est douloureux, car la
souffrance est bien présente. Mais de vous voir défiler tel un panorama
humain tournant est magique. Telle la nature,
immuable dans son renouvellement. Je me transmute de génération en génération jusqu'à
l'avènement final de ce monde. Je serai là jusqu'à
la fin. Que diriez-vous d'avoir une idée de ce que la terre va devenir ? Un havre de paix. Nous ne
serons plus là. Ce n'est du moins rien à voir, aucun rapport avec nos vecteurs de vie actuelle. Je vous observe depuis tant de villes.
Tant d'endroits que j'ai vomis la nuit de nos conneries. Le jour, je vous croise.
Incompréhension du phénomène, je vous transcende sans heurt. Un
scanner greffé dans le cœur,
aucun sentiment n'y réside, que de bonnes
ondes restent de nos échanges. Les plaisirs humains sont dérisoires face à l'infini de l'existence, je suis Immortelle ! Oh, mon amour de Bigorre
/ Lutins / Cécile Hamy Non ce n'est pas la croix et la bannière. Ici tout est merveilleux. J'ai aimé la belle montagne
que j'étais venue rencontrer. Avec
ses versants colorés même de neige
qu'il vente qu'il pleuve tout est beau ici. Dans le marbre
blanc, on trouve
toute la pureté
de la source et l'eau
c'est la vie. Ici la vie
est transcendante. Le lac de Payolle
et son «refuge » sont une merveille. Dommage
que certains amours ou amitiés échouent, mais nul n'était
obligé de s'aimer. Ici l'amour
transpire de certains êtres qui, je le sais, se reconnaîtront. Pays des Pyrénées, je te le dis clairement, je t'adore
comme
la muse adore
son artiste. Sans
citer de nom, je parlerai de Jeanne d'Albret, qui par sa pensée m'a tenue compagnie ainsi que cette Sophie, dont je ne sais son nom.
La peste
n'est pas le Covid-19 ! Gare à vous quand même, je tiens à notre humanité, qui est claire et présente ici. Bien sûr, vous n'en n'avez aucun doute. Le soleil est dans nos cœurs,
mais quand même, je suis désormais vaccinée de Tranchant et son groupe
ainsi que la Weed-Gang. Hasta luego Petits Lutins
/ Brigitte Voisin
Lutin : Il
ne faut pas confondre les lutins avec les esprits frappeurs, les feux follets
ou la fée Clochette. Par une belle soirée
d'été, je partis en direction de la Mare au Diable chère à George Sand et
du Chêne du Pendu. Temps idéal pour arpenter les chemins creux berrichons
qui regorgent de noisetiers, de menthe sauvage, d'ajoncs, de prunus. Je
franchis un petit pont en vieux bois craquelé qui surplombe la rivière aux eaux
claires, garnie d'algues ondoyantes. Elle chantonnait, et
coulait librement. Un ballet de libellules aux ailes bleutées retint mon
attention un moment.. Un vent frais, léger et parfumé, courait sur les pâtures. J'entrai dans un bois de
châtaigniers, touffu, sombre, ou nul oiseau chantait. Bois abandonné des
hommes, parsemé de branches mortes craquant sous les pas et de ronces énormes. La
Mare au Diable n'était plus qu'un peu d'eau boueuse encerclée par des orties et
autres vilenies. Le Chêne du Pendu ne valait guère mieux. Très ancien, haut
et massif, il tendait ses branches nues et noueuses, comme un appel aux
vivants. Tristesse et déception. Un
paysan y fut pendu, jadis. Soudain, je crus
entendre des chuchotements, des petits rires
d'enfants vite réprimés. Au centre de la clairière, dans un rond de
sorcière, je découvris de petits êtres aux habits chatoyants. Tous, portaient
une culotte en peau de lapin, un petit haut de satin et un
minuscule chapeau pointu qui cachait en partie leur visage. Ils babillaient, assis
dans l'herbe et se faisaient des niches. Une petite flûte, tirée d'un sac,
au son aigrelet; interrompit leurs jeux. Ils bondirent, d'un
seul élan, et se prenant par la main, firent une ronde et dansèrent légers,
aériens, sautant comme des cabris. C'était magique et
magnifique, ce bonheur à l'état pur. Ils riaient à gorge déployée. Soudain,
un grand cerf, aux bois imposants, émergea de la forêt et s’avança
lentement. Les petits lutins, surpris, disparurent en quelques bonds, dans
les hautes herbes. Le cerf s'éloigna ,comme à regret. Le temps avait filé. Un brouillard
cotonneux envahit les lieux. Il fallait rentrer, car déjà le hibou lançait
son chant monotone du haut de son grand arbre.
Je
gardais de cette rencontre magique, un souvenir exquis. La superstition /Cécile Hamy
« La superstition est l'art de se mettre en règle avec
le coïncidences. » Jean Cocteau Dès le départ, il crut en
tout cela, l'œuf café
au-dessus de sa tête,
s'ouvrant sur un papier; papier qui dévoilera sa destinée, lors de son adolescence.
D'y croire, aux présages,
aux synchronicités, comme
un point d'ancrage dans sa réalité. Point de coïncidences il y a aux portes
de métro qui s'ouvrent juste devant
lui, ou le bus qui arrive au même
instant que lui. II a pour habitude
de se laisser porter par les signes
qu'il rencontre.
II y attache une grande importance, c'est cela qui le distingue
des autres. Cela lui montre qu'il est sur le bon chemin,
le sien, tout du moins. La superstition
lui est propre, mais il ne se laisse pas guider par ces foutaises de porte-malheur ou porte-bonheur, verre brisé, chat noir, ou échelle
à éviter, n'ont rien à envier de ce qu'il vit. Il sait, c'est tout. Doté d'une grande intuition, se laisser porter par la grandeur
d'un échange avec un ou plusieurs oiseaux, les nuages, la lune ou encore le vent. Les éléments le promènent dans des éclairages sur ces moments
de vie. Les signes mystiques et oniriques s'invitent dans son monde, alors qu'il ne s'y attend
pas. Et il n'y a pas un jour où il en doute. Atelier du 25 juin. 2021 Immortalité
rime avec sérénité / Yaël Getler Quelle
est l’une des plus grandes craintes de l’Homme ? N’est-ce pas la
Mort ? Libérer chacun d’entre nous de cette pression du temps qui passe ne
serait-ce pas apaiser l’humanité ? J’ai un tempérament
optimiste, mais j’écoute aussi mon corps chaque matin, chaque soir, et je sais
qu’il me dit que je peux ne jamais mourir. Chacun le peut s’il le décide. Mes
parents ont tant insisté pour m’offrir une place dans le caveau familial que
j’ai fini par accepter, et après ma date de naissance, là où celle du décès est
censée être vierge, j’ai fait graver en lettres d’or le signe de l’infini. L’ironie du sort a voulu
que mon premier emploi fut d’être employé de pompes funèbres. On a fini par me
licencier, il est vrai que je ne cessais de répéter que ce métier n’existerait
bientôt plus. Je crois être passé pour un illuminé. Tant pis pour eux, quand
ils seront tous au chômage, ils repenseront à moi…. Lorsque
notre corps est abîmé, il suffit de le réparer.. Ne
pas se dire qu’on a la vie devant soi, mais l’Eternité devant soi. Bien sûr, ma
naïveté n’est pas si grande, il faudra améliorer nos conditions hospitalières
et de médecine, il nous faudra tout de même réguler un risque de surpopulation,
mais j’y travaille. Je suis tombé amoureux
alors que je ne m’y attendais pas, jusqu’au jour où ma Princesse a parlé
d’enfants. J’ai bien tenté de lui expliquer que nous avions déjà beaucoup de
projets à réaliser avant et que pour des enfants nous avions tout le temps.
Elle m’a expliqué des choses obscures sur les hormones et je ne sais quoi, elle ne m’a pas compris. Elle m’a quitté. Je
m’attellerai à mettre au monde mes premiers enfants d’ici une cinquantaine
d’années, j’aurai tout le loisir de profiter de ma descendance. Mais l’immortalité,
durement acquise, doit rester un choix. Je ne jette pas la pierre à celles et
ceux qui courent à cent à l’heure pour
avoir le temps de tout faire avant leur dernier souffle. Et encore… Tout faire… Si
c’est pour son propre bien être, c’est concevable mais si c’est pour devoir
sans cesse rendre des comptes, affronter des obligations, il faut prévoir
beaucoup plus de temps. Faute de quoi il n’en reste plus pour le Bonheur et les
joies simples de la vie. J’aurais
dû passer cent fois à trépas. On me dit qu’un ange veille sur moi….je crois
être mon propre ange…Un jour alors que j’étais dans le camion des pompiers
perdant mon sang à flots par la bouche, je les entendus dire « on l’a
perdu, je n’ai plus de constantes ! »… Mais j’étais là. Je ne pouvais
pas parler, pas bouger mais j’étais toujours là. J’ai fait un gros travail sur
moi-même, mon corps et mon esprit se sont rejoints, et arrivé à l’hôpital mes
constantes avaient repris une courbe normale. Et un estomac, ça se répare. Bien sûr, je vois
toujours le verre à moitié plein, je sais aussi que l’immortalité suppose le
risque de voir un monde tomber en ruines. Mais nous serons plus nombreux pour
le reconstruire. La difficulté réside
surtout dans la décision de l’âge physique auquel nous désirons, nous
maintenir, un âge auquel le corps dira stop et n’accusera plus les signes de
vieillissement. J’ai opté pour trente-cinq ans. C’est un bon âge, encore jeune
et vaillant mais expérimenté et aguerri, pas encore de cheveux blancs et
seulement quelques rides d’expression qui donnent du caractère. Je me plais
ainsi pour l’éternité. Si d’aventure je venais à changer d’avis, la médecine et
la chirurgie esthétique sont à ma disposition. L’immortalité
est un Trésor à constituer petit à petit, elle est ma définition du Bonheur, si
d’aucuns préfèrent y renoncer par manque de temps d’y penser, libre à eux. Avoir
le temps de réaliser tous les projets qui nous tiennent à cœur, sans cesse
renouvelés, le temps de rencontrer les plus belles femmes du monde en les
charmant toujours, avoir le temps de penser, le temps de ne rien faire… Le monde de l’immortalité
sera le monde de tous les possibles. Être immortel, c’est pouvoir sans cesse
apporter sa pierre à l’édifice emplis des souvenirs de la Terre. C’est être la
Mémoire du Monde. L’année
2050 sera une année exceptionnelle, un bouleversement salutaire. J’ai voulu m’y
prendre à l’avance sachant que cette date serait très courtisée, pour réserver
le lieu des festivités du Réveillon. On m’a répondu qu’on ne prenait pas de
réservation pour une date aussi lointaine ! Le monde n’est pas prêt. A mon
épouse qui m’apporte tendrement mon café du matin, je dis nonchalamment : -J’ai
rêvé que nous étions immortels, toi et moi . Elle a fait volte-face en
haussant les épaules. Le monde n’est pas prêt. Immortalité
rime avec Sérénité, pourtant. La dentelle
du cygne / Patricia Baud Droit
devant, il glissait, petits points blancs de suspension Les
volutes aquatiques se décomposaient en deux temps Patte
avant pour l’esquisse et le choix du sillage La
patte restée en arrière en soulignait le trait et l’accentuait Cette
symphonie délicate s’offrait gaiement aux passants rêveurs Entre
clapotis et ronde du vent, les feuilles
à la surface de l’eau brillaient, ondes de couleurs miroitantes Jeu
de résonnances, l’animal orchestrait le tempo pour le bon vouloir des rives
respectueuses, silencieuses Une
petite fille de sept ans recousait avec
son crayon, le fil du temps dérobé Sa
main frôlait le papier glacé comme la bête sa liquide litière L’harmonie
du moment se laissait capturer dans un
désir d’immortalité Mais
que fais-tu, lui demanda son
indissociable peluche et confidente ? Surprise
par tant d’audace, la petite dessinatrice exécuta doucement une réponse Je
peins la dentelle façonnée par le grand cygne Il
décrit des arabesques élégantes et moi,
je replace les lettres dispersées pour écrire la … La
petite se tût pour ne pas troubler l’ouvrage précieux de ce grand roi
majestueux … 27/01/2022 Danse avec les lutins -1- / Alain Bellet Il
n’est pas donné à tout le monde de disposer de lutins à soi, des êtres de
chimères, visibles ou invisibles, toujours prêts à imaginer des sortes de
farandoles les plus délirantes, dans le but avoué de dérégler le quotidien des
choses et faire tanguer le monde au diapason d’une peur ou d’un éclat de rire. Des lieux où j’ai vécu,
je me souviens bien d’eux. Ils s’installaient toujours à mon insu dans le
recoin le plus improbable, le dessous d’un lit poussiéreux, l’intérieur d’une
penderie emplie de vêtements mités, sur le haut d’une armoire gigantesque ou
encore coincés derrière la porte d’un grenier inquiétant. Ils étaient les maîtres
d’œuvre de mes étonnements, les entremetteur de mes rêves, les buissonniers de
mes classes vagabondes. Mais que pouvaient avoir en communs mes lutins du
Faubourg Saint-Antoine, ceux du Parc-de-Saint-Maur, de la rue Riquet ou de la
rue Marx Dormoy ? L’éclat de l’enfance et le surplus de rêveries qu’une
adolescence interrogative fabrique… Déjà la résidence créée
le lutin, entre Paris et sa banlieue, le centre ou sa périphérie, dans la
proximité ou l’éloignement avec l’histoire humaine, la mémoire des disparus,
les souvenirs de leurs luttes et de leurs privations… Le lutin t’accompagne
dans les saisons des découvertes amoureuses, dans l’apprentissage du sens des
choses et l’éclosion des idées choisies, façonnées à la main pour forger le
moule d’une identité dans la fumée des lacrymogènes et le vacarme des rues
remuantes… C’est un lutin de rouge et de noir vêtu, volontiers gueulard,
parigot et chansonnier qui accompagne l’essentiel de mes marches. Dans les années
soixante-dix, mes lutins de compagnie se féminisent et deviennent lutines,
elles campent à Romainville, investissent les casernes allemandes, élisent
domicile à deux pas du concert Mayol, vers Strasbourg-st-Denis. Un peu
casanières, elles se plaisent dans un univers communautaire où les combats se
pluralisent, front principal, fronts secondaires, l’écologie, le féminisme, la
ruralité… Désormais, le son du
bignou et celui des cornemuses entraînent les lutines dans les fest-noz de
Rennes, direction Langouet sur galettes et beurre salé, crêpes et bretonneries
douces. Bientôt
la Drôme, l’Ardèche, le mistral et le vent du nord… La largueur du Rhône les
impressionne, les sommets découpés du Vercors à l’horizon aussi. Cette nouvelle
migration à des fins professionnelles entraîne une démission collective des
lutines qui avaient osé me suivre en plein hiver sur des chemins verglacés, je
le sens bien. Plus de murmures complices, plus de rires échevelés dans le fond des couloirs, elles ne sont plus là, les lutines, évaporées, dispersées, courant sur les sentiers ventés entre des massifs de genêts… Parfois, je sentais leur souffle près des ruines du château Crussol, mais l’impression ne durait pas…
La Dentelle du cygne / Sylvie Pétel
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